jeudi 10 mars 2016

L’enfant du mercredi (Lili Horvath, Allemagne/Hongrie, 2015) Festival du film d’Europe centrale et orientale, Rouen, 4-13 mars 2016)

     Dans L’Enfant du mercredi, la réalisatrice hongroise Lili Horvath brosse le portrait de Maja, jeune marginale orpheline, qui se laisse tenter par la création d’une laverie afin d’obtenir des revenus suffisants pour récupérer la garde de son enfant autiste de quatre ans. L’héroïne hésite entre l’adhésion requise à un groupe de micro-crédit, avec la loyauté financière que cela implique envers les autres membres, et son mode de vie marginal fait d’expédients et affranchi de toute contrainte morale. Son choix est rendu encore plus difficile par la relation qu’elle entretient avec le père de son enfant, Krisz, orphelin lui aussi et délinquant assumé, qui voit d’un mauvais oeil les efforts de Maja pour adopter un mode de vie plus rangé (et conquérir du même coup son autonomie financière et affective). 
     Le film séduit par son approche « naturaliste », ancrée dans le réel, un peu à la façon d’un Ken Loach, et dans lequel les personnages acquièrent au fil du récit un véritable relief, avec leurs faiblesses qui se révèlent derrière les apparences (en particulier chez Janos, travailleur social incarné par Szabolcs Thuroczy).
     Le film est porté à bout de bras par Kinga Vecsei, jeune actrice qui avait 18 ans au moment du tournage et qui crève littéralement l’écran par la justesse de son interprétation et l’épaisseur qu’elle donne à son personnage.
     « Il a fallu que j’apprenne à parler comme “elle“ et à penser comme “elle“ », expliquait Kinga au public de l’Ariel mercredi soir. La jeune femme, aujourd'hui en dernière année d’une école d’arts appliqués section Maroquinerie, donne en effet l’impression d’être aux antipodes de son personnage. D’un abord plutôt réservé, courtoise, on l’imagine mal en train de faire un doigt d’honneur aux garçons qui lui feraient des propositions obscènes, comme le fait pourtant Maja dans le film. Bien que Kinga ne se destine pas à devenir actrice, elle est déjà pressentie pour tourner dans le prochain film de László Nemes (découvert en 2015 avec Le Fils de Saül).
     Son interprétation a manifestement conquis le jury du 50e festival de Karlovy Vary qui a décerné à L’Enfant du mercredi le Prix de la section parallèle. Le film a également remporté le prix FEDEORA des critiques de films d’Europe et de la Méditerranée. 

mercredi 9 mars 2016

Soleil de plomb (Dalibor Matanic, Croatie/Slovénie, 2015) Festival du film d’Europe centrale et orientale, Rouen, 4-13 mars 2016)

     Dans Soleil de plomb, Dalibor Matanic nous raconte trois histoires d’amour impossible sur fond de haines inter-ethniques dans un village à la frontière entre la Croatie et la Serbie. A chacune de ces époques (1991, 2001 et 2011), l’amour de deux jeunes gens se heurte aux préjugés familiaux et aux interdits sociaux avec en toile de fond la guerre serbo-croate, imminente dans la première époque, achevée dans la deuxième et au rang de souvenir à dépasser dans la troisième.
     La première époque, décrit ce que l’on pourrait prendre pour une histoire d’amour idyllique et sensuelle par un bel été au bord d’un lac. Mais la famille de la jeune fille ne tolère pas que l’on puisse fréquenter un homme du « camp d’en face » et son frère entend y mettre bon ordre et la ramener de force à la maison. L’histoire prend alors des allures de tragédie antique, dans laquelle ces nouveaux  Roméo et Juliette vont être les premières victimes de la guerre qui s’annonce.
     La deuxième époque met en scène une mère et sa fille qui reviennent à la maison familiale après la fin de la guerre pour la restaurer. Elles seront aidées dans cette tâche par un jeune ouvrier « de l’autre camp », ce qui lui vaudra la sourde hostilité de la jeune fille avant que celle-ci ne se décide à le séduire (d’une manière très directe…). Leur idylle sera de courte durée, car la jeune fille ne peut se résoudre à oublier le passé, ni les tombes de son père et de son frère, sur lesquelles elle se rend chaque jour, traces d’un passé qu’elle renvoie brutalement au visage de son amant. Une des scènes les plus poignantes du film survient lorsque l’ouvrier s’apprête à remonter dans son camion pour un départ définitif tandis que la jeune femme feint de l’ignorer. On pense à la scène de « Sur la Route de Madison », lorsque l’héroïne, dans le pickup de son époux, voit la voiture de son amant. La main sur la poignée de la portière, il lui aurait alors suffi d’un geste pour changer le cours de son existence. Geste que ni l’une ni l’autre ne feront.
     La troisième époque raconte la virée de deux vieux copains, en route vers une « méga-teuf » qui prennent deux auto-stoppeuses en route, avec la promesse de force bières, une sexualité débridée et la consommation de quelques substances illicites. Après les retrouvailles avec les potes le personnage principal devra affronter son passé, d’abord en allant voir ses parents (qu’il n’avait pas vu depuis fort longtemps), puis en retournant chez son ex-compagne, originaire de l’autre communauté,  qu’il avait abandonnée. Cette fois, l’amour parviendra (non sans difficultés) à triompher.
     Ainsi, à travers ces trois époques, Dalibor Matanic brosse une fresque allégorique de l’ex-Yougoslavie et des démons qui l’ont dévastée, et propose une vision relativement optimiste de l’avenir en mettant en scène une jeune génération qui, sans nier les cicatrices de l’histoire récente, cherche néanmoins à vivre sa vie par-delà les ravages des nationalismes.
     Soleil de plomb a reçu le Prix du Jury « Un certain regard » au festival de Cannes 2015.


      Brassland (A. Brockhouse et Bryan Chang, USA, 2015), présenté en ouverture du festival vient tempérer quelque peu ce bel optimisme. Ce documentaire musical n’est pas à proprement parler un film politique. Il suit une équipe de musiciens américains passionnées par la musique des Balkans, qui viennent participer au festival de Guca, village serbe qui réunit pour l’occasion un demi-million de passionnés de cuivres et de trompettes. Ce sont sans doute les aspects anecdotiques saisis par ce film qui sont les plus parlants : drapeaux serbes partout déployés, nombreux musiciens arborant la casquette militaire des tchetchniks, et même (image saisie brièvement) un tee-shirt à la gloire de Milosevic «  notre héros »… Comme le montre Brassland, en Serbie, le nationalisme est toujours bien vivant, même chez la jeune génération. Les prochains Roméo et Juliette auront encore du souci à se faire.

mardi 8 mars 2016

Koza (Ivan Ostrochovsky, Slovaquie/République tchèque, 2015) Festival du film d’Europe centrale et orientale, Rouen, 4-13 mars 2016

     Lorsque l’on pense à des films mettant en scène des boxeurs, l’image qui vient en premier est celle de Rocky et son mélange de misère et paillettes qui participe pour une bonne part au rêve américain : on est issu d’un milieu pauvre, mais, à force de travail acharné et de volonté, on arrive à se dépasser.
     Rien de tel dans le Koza d’Ivan Ostrochovsky, road movie glauquissime où l’on suit un rom, ancien champion olympique de boxe, et son « employeur » dans les fin fonds d’une Slovaquie miséreuse. Misa, la compagne de Koza a besoin d’argent pour se faire avorter, aussi Koza décide-t-il de remonter sur le ring pour trouver l’argent (même s’il préfèrerait garder l’enfant).
     Koza convainc Zvonko, son employeur, un ferrailleur, de l’aider. Les deux hommes s’embarquent alors dans un long périple fait de salles de sports miteuses, de contrats douteux, de nuits glaciales passées dans le camion où l’on tente de se désaltérer avec une bouteille de cola gelée, et de longs trajets dans des paysages enneigés entre deux combats perdus dès lie premier round.
     La grande force du film tient à son caractère hybride : fiction documentaire tournée avec un véritable ex-champion de boxe et ponctuée d’images de vrais combats. « Koza n’était pas bon quand il "jouait" les scènes de boxe. On a tourné ces faux matches, et puis, quand on a vu que c’était vraiment pas bon, un an plus tard on a filmé de vrais combats », expliquait Ivan Ostrochovsky lors de la présentation du film au public rouennais.
     Au cinéma, les frètes Dardenne nous avaient fait effleurer la misère du quart-monde. Dans Koza, Ivan Ostrochovsky nous montre que lorsque l’on atteint le 36e dessous, la caméra trouve encore un ou deux sous-sols à explorer – sobrement, sans misérabilisme ni complaisance –.
     Par delà l’histoire de ce has been, et de son patron, l’un et l’autre réduits à vivre d’expédients, on peut lire en filigrane le sort des laissés pour compte du néolibéralisme économique qui s’est imposé dans la plupart des pays d’Europe de l’Est après la chute du communisme. De ce point de vue, l’élection de 14 députés du parti néo-nazi Notre Slovaquie aux législatives du week-end dernier n’est que le dernier avatar en date du profond malaise économique et politique qui hante depuis plusieurs années déjà les pays d’Europe centrale, et qu’illustre à sa manière Koza.

     La Slovaquie doit assumer la présidence de l’Union européenne au 1er juillet 2016.

lundi 7 mars 2016

Peace to us in our dreams (Sharunas Bartas, Lituanie, 2015), Festival du film d'Europe centrale et orientale, Rouen 4-13 mars 2016

     Le film du réalisateur lituanien Sharunas Bartas est arrivé au festival de Rouen auréolé de sa sélection à la Quinzaine des réalisateurs et d’une rétrospective qui vient de s’achever au centre Pompidou. En huit films, Bartas s’est acquis la réputation d’un cinéaste exigeant et atypique pour lequel les mots ne peuvent dire ce qui ne peut s’exprimer en images.
« Peace to us… » confirme ce parti pris : aux dialogues, Bartas préfère les longs silences dans un film centré sur le mal-être et l’incommunicabilité.
     « Peace to us… » raconte l’histoire d’un couple et de leur fille ado qui partent pour un week-end à la campagne. Auparavant, la femme, violoniste, a connu un magistral pétage de plombs au milieu d’un concert, quittant la salle et laissant une assistance médusée, incident dont elle ne parlera pas à son mari (ni à personne).
     Le film présente ainsi en longs plans séquences deux couples, d’une part les bobos venus à la campagne, d’autre part deux fermiers locaux. Une autre relation se forme entre la jeune ado et un vagabond. Au fil du temps qui semble s’étirer à n’en plus finir, Bartas met en scène non pas des existences partagées, mais des solitudes juxtaposées, dont la tristesse intrinsèque est encore renforcée par l’absence de parole.
     Et lorsque la parole se libère, c’est sous la forme des insultes (et des coups) qu’échangent le fermier et sa femme, ou bien du rejet brutal des tentatives que fait la violoniste pour évoquer Beethoven auprès de la vieille fermière qui ne jure que par les chants folkloriques lituaniens… Une autre parole, plus intime, plus authentique, finit par se manifester à la nuit tombée, mais sombre rapidement dans les lieux communs et ne parvient pas à masquer la fragilité (ou l’absence) des sentiments. 
     Bartas impose un rythme résolument lent, en harmonie avec la nature environnante et les interminables journées d’été de l’Europe du Nord, dans lequel sourdent néanmoins une tension constante et un spleen généralisé, le tout enveloppé dans des images d’une grande beauté (Bartas est/a été également photographe. La galerie du Passage de Retz à Paris présentait ses photos le mois dernier).
     Mais l’indigence du scénario amène à se demander si cette fois, la machine ne tourne pas à vide, sauf à considérer que le réalisateur nous invite à partager sa désespérance. Ce mal-être devient à ce point perceptible que, par moments, l’ennui guette le spectateur.


(Pour une réflexion plus approfondie, on lira avec intérêt la critique de Marie Gueden sur le site Critikat.com  <a href="http://www.critikat.com/article9508" title="Critique du film Peace to Us in Our Dreams">Peace to Us in Our Dreams </a>