mercredi 9 mars 2016

Soleil de plomb (Dalibor Matanic, Croatie/Slovénie, 2015) Festival du film d’Europe centrale et orientale, Rouen, 4-13 mars 2016)

     Dans Soleil de plomb, Dalibor Matanic nous raconte trois histoires d’amour impossible sur fond de haines inter-ethniques dans un village à la frontière entre la Croatie et la Serbie. A chacune de ces époques (1991, 2001 et 2011), l’amour de deux jeunes gens se heurte aux préjugés familiaux et aux interdits sociaux avec en toile de fond la guerre serbo-croate, imminente dans la première époque, achevée dans la deuxième et au rang de souvenir à dépasser dans la troisième.
     La première époque, décrit ce que l’on pourrait prendre pour une histoire d’amour idyllique et sensuelle par un bel été au bord d’un lac. Mais la famille de la jeune fille ne tolère pas que l’on puisse fréquenter un homme du « camp d’en face » et son frère entend y mettre bon ordre et la ramener de force à la maison. L’histoire prend alors des allures de tragédie antique, dans laquelle ces nouveaux  Roméo et Juliette vont être les premières victimes de la guerre qui s’annonce.
     La deuxième époque met en scène une mère et sa fille qui reviennent à la maison familiale après la fin de la guerre pour la restaurer. Elles seront aidées dans cette tâche par un jeune ouvrier « de l’autre camp », ce qui lui vaudra la sourde hostilité de la jeune fille avant que celle-ci ne se décide à le séduire (d’une manière très directe…). Leur idylle sera de courte durée, car la jeune fille ne peut se résoudre à oublier le passé, ni les tombes de son père et de son frère, sur lesquelles elle se rend chaque jour, traces d’un passé qu’elle renvoie brutalement au visage de son amant. Une des scènes les plus poignantes du film survient lorsque l’ouvrier s’apprête à remonter dans son camion pour un départ définitif tandis que la jeune femme feint de l’ignorer. On pense à la scène de « Sur la Route de Madison », lorsque l’héroïne, dans le pickup de son époux, voit la voiture de son amant. La main sur la poignée de la portière, il lui aurait alors suffi d’un geste pour changer le cours de son existence. Geste que ni l’une ni l’autre ne feront.
     La troisième époque raconte la virée de deux vieux copains, en route vers une « méga-teuf » qui prennent deux auto-stoppeuses en route, avec la promesse de force bières, une sexualité débridée et la consommation de quelques substances illicites. Après les retrouvailles avec les potes le personnage principal devra affronter son passé, d’abord en allant voir ses parents (qu’il n’avait pas vu depuis fort longtemps), puis en retournant chez son ex-compagne, originaire de l’autre communauté,  qu’il avait abandonnée. Cette fois, l’amour parviendra (non sans difficultés) à triompher.
     Ainsi, à travers ces trois époques, Dalibor Matanic brosse une fresque allégorique de l’ex-Yougoslavie et des démons qui l’ont dévastée, et propose une vision relativement optimiste de l’avenir en mettant en scène une jeune génération qui, sans nier les cicatrices de l’histoire récente, cherche néanmoins à vivre sa vie par-delà les ravages des nationalismes.
     Soleil de plomb a reçu le Prix du Jury « Un certain regard » au festival de Cannes 2015.


      Brassland (A. Brockhouse et Bryan Chang, USA, 2015), présenté en ouverture du festival vient tempérer quelque peu ce bel optimisme. Ce documentaire musical n’est pas à proprement parler un film politique. Il suit une équipe de musiciens américains passionnées par la musique des Balkans, qui viennent participer au festival de Guca, village serbe qui réunit pour l’occasion un demi-million de passionnés de cuivres et de trompettes. Ce sont sans doute les aspects anecdotiques saisis par ce film qui sont les plus parlants : drapeaux serbes partout déployés, nombreux musiciens arborant la casquette militaire des tchetchniks, et même (image saisie brièvement) un tee-shirt à la gloire de Milosevic «  notre héros »… Comme le montre Brassland, en Serbie, le nationalisme est toujours bien vivant, même chez la jeune génération. Les prochains Roméo et Juliette auront encore du souci à se faire.

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